Le bar hésitant

Ce soir avait lieu la Grande Purge instaurée par Andrea Belson. Bien sûr le Petit Peuple avait été invité à ce bain de sang, la sorcière était futée, elle savait bien que les Unseelies, la cour la plus sombre des faeries, se réjouiraient de cette annonce s’en donnant à cœur joie sur les Terrestres et leur fer qui avait déjà coûté tant de vie. En temps normal Lehr aurait sans doute été à courir en tous sens, tâchant de sauver un maximum de vie, mais pas ce soir. Ce soir tout ce qu’il voulait c’était se saouler en paix, et il savait qu’il ne l’aurait pas chez lui où Caoimhe avait réélu domicile. Le faerie aimait sa sœur, plus que tout, mais dernièrement tout ce qu’il voulait c’est oublié le vide qu’avait créé le décès de la louve.

C’est dans cet optique qu’il s’était rendu dans un des bars de Chicago, il savait qu’il ne risquait rien, aucun Obscur sain d’esprit ne viendrait s’en prendre à lui. Et s’il tombait sur un fêlé, il le noierait. Ce n’était pas plus compliqué. Dehors c’est ni plus ni moins qu’une zone de guerre et de massacre, mais l’Irlandais n’y prête pas la moindre attention. Ce soir il est dans un état second, tout ce sang, ces cris, il ne peut s’empêcher au dernier moment de la louve, entre les mains de ce vampire. Avait-elle crié ? Avait-elle appelé au secours ? L’avait-elle appelé lui à l’aide ? Il n’avait pas su la protéger, il n’avait pas été là ce soir-là. Il lui avait promis de veiller sur elle, promis d’être toujours là pour elle. Et il avait failli.

En entrant il jeta un regard à la ronde, reconnaissant vaguement quelques créatures obscures par leur marque magique, puis il repéra un visage familier, un Obscur, il l’avait connu Nephilim autrefois, même si pour lui c’était comme hier. Sans lui demander la permission il s’assit en face de lui, commandant un verre, enfin un whisky triple. « Tu n’es pas en train de tuer ta part de rebelles ? Ça risque de grincer des dents dans ton camp non ? » demande-t-il sans préambule. Il n’est pas vraiment d’humeur à faire dans la politesse ce soir de toute façon.

Lehr avait connu l’Obscur bien avant qu’il ne le devienne, il se souvenait encore de lui à l’époque où il entraînait Zack. Mais contrairement aux proches de l’ancien Nephilim, il ne se formalisait pas de ce changement, pour lui il était toujours le même. Toujours aussi mortel, toujours aussi jeune, toujours aussi belliqueux. Nephilims, Obscurs, pour les immortels c’était du pareil au même. « La patience est une vertu. Je préfère laisser les enfants s’amuser avant que le vrai spectacle ne commence. » réplique l’Obscur à l’intervention de l’Irlandais, n’obtenant qu’un léger ricanement de sa part. Si les faeries sont incapables de mentir, ils savent quand on leur ment de manière éhontée. Pourtant il ne relève pas. Si l’Obscur préfère se morfondre dans ses mensonges, c’est son droit. « Puis, à force de grincer des dents ils finiront avec des dentiers…c’est habituel chez eux. Que fais-tu ici Lehr ? » s’enquit finalement l’Obscur. « Boire. » répond-il en levant son verre qu’une serveuse vient de lui apporter. « Je le ferais bien chez moi, mais ces derniers temps on ne me laisse pas le faire à ma guise. » grommelle-t-il en pensant à sa sœur qui avait décidé de rester. Oh bien sûr il était toujours ravi d’avoir sa jumelle à ses côtés, là n’était pas le problème. Il aurait juste aimé qu’elle le laisse boire tout son saoul justement. « Et puis… finalement, la compagnie est fort plaisante ici. » ajoute-t-il avec une voix légèrement lubrique. D’accord… ce n’est pas le premier bar ni son premier verre de la soirée… Et certainement pas le dernier d’ailleurs.

L’Irlandais finit par détourner la conversation en flirtant légèrement avec l’Obscur, car c’est une de ses habitudes. Quand il broie du noir, ou ne veut pas se dévoiler, il flirt. Ça a généralement le mérite de changer le sujet de conversation d’une manière ou d’une autre. Soit la personne en face est gênée et parle d’autre chose également, ou, comme ici, la personne rentre dans son jeu. Passer la surprise de le voir le suivre –après tout il ne l’avait jamais fait à l’époque où il était Nephilim– Lehr sourit également, recommandant un autre whisky après avoir fini le sien quasiment d’une traite. « Elle pourrait l’être davantage si il y avait moins de monde dans les parages… » Le sourire du faerie s’agrandit un peu plus. « Oui, quel dommage, une réserve dans l’arrière-salle de ce bar pourrait être si utile… » susurre-t-il en faisant tourner sa boisson ambrée dans son verre en ne lâchant pas du regard le jeune homme face à lui. « Sauf si tu as quelque chose de plus…amusant à faire. Mais, sincèrement, j’ai peut-être une occupation qui pourrait te convenir. » te suggère-t-il sans vraiment tourner autour du pot, à croire qu’il n’a pas vraiment de temps à perdre, ou peut-être se cherche-t-il une excuse, une occupation, qui justifierait qu’il ne soit pas en train de massacrer ses anciens partenaires et les Terrestres qui croiseraient son chemin. Lehr l’ignore, et au fond, il s’en fiche. Tant que ça garde un Obscur loin des rues et si en plus ça peut lui changer les idées et lui faire oublier le gouffre béant dans son cœur ne serait-ce que pendant quelques minutes, tant mieux. « Tout dépend de l’occupation que tu as à me proposer… » souffle le blond sans se départir de son sourire en coin. De toute façon, depuis un mois, Lehr ne fait quasiment que ça, boire et s’envoyer en l’air, il n’y a que ça qui semble lui permettre d’oublier pour un temps sa douleur. Il a conscience que ce n’est pas vraiment une manière saine de gérer ce problème, mais il n’a, pour l’instant, pas trouver mieux. « Ces derniers temps il n’y a vraiment que deux activités qui me sied, espérons que ce soit une de celles-là… » ajoute-t-il en haussant un sourcil suggestif. Finalement, peut-être qu’aucun d’eux deux n’avaient envie d’y passer cent sept ans, et chacun semblait plutôt pressé de passer à la suite des événements.